mercredi 6 août 2008

Voisin #1

Longtemps je suis passée chaque jour devant ce grand mur et cet immense portail en métal, me demandant quel genre de personne pouvait bien vivre là-dedans.
Il est vrai qu’à notre époque on peut s’attendre à tout : un aristocrate solitaire, un couple de sœur vieilles-filles, une famille un peu snob aux enfants-bleu-marine, … ? L’épaisseur du mystère pouvait rester longtemps aussi dense que celle des frondaisons surplombant l’enceinte du domaine. Car oui, derrière de tels mur on ne peut imaginer autre chose qu’une grande demeure – peut-être défraîchie – au fond d’un grand parc ombraDe cette partie là de l’intimité des lieux je n’en saurais sans doute jamais plus.
Cependant le hasard voulu qu’un jour lumière se fit sur au moins l’un des habitants de cet endroit.Un jour que j’étais en retard sur mon horaire habituel de passage je vis le portail s’ouvrir discrètement et une silhouette en sortir.
Ma petite auto me permis de me rapprocher rapidement puis de ralentir l’allure afin de profiter au maximum de cette apparition.La silhouette appartenait à un homme, dans la soixante-dizaine, plutôt mince voire maigre.
Il sortait en fait pour prendre son journal dans la boite aux lettres.A cette heure somme toute un peu avancée dans la matinée il portait une robe de chambre. De couleur bordeaux, croisée devant et attachée par une ceinture de la même teinte. Le tout semblait être en soie ou en satin. Pouvoir faire cette distinction m’aurait permis sans doute d’en savoir plus sur son propriétaire, mais vous vous doutez bien que de mon poste d’observation mobile il m’était impossible d’obtenir plus de précision. Savoir si la robe de chambre était portée sur des vêtements ou sur un pyjama aurait également été un détail instructif, mais une fois encore il n’y avait pas de moyen évident d’obtenir cette information.
Alors voilà tout ce que j’avais à me mettre sous la dent, voilà tous les éléments devant satisfaire ma curiosité et permettre à mon imagination de faire le reste.
Si cet homme était célibataire ou marié, enrichi ou rentier, whisky ou cognac, oisif ou maniaque, chat ou chien, propriétaire ou employé, beurre ou confiture à moi d’en décider.
Ces choix m’appartenaient enfin et je n’allais pas m’en priver.
Voici donc une des options que je construisit ce jour là : cet homme était propriétaire de la maison, il en avait hérité de ces parents - dont il s’était d’ailleurs occupé jusqu’à leur mort – ensuite c’était sa femme qui avait disparu le laissant finir l’éducation de leurs deux filles. Il vivait à présent seul avec son épagneul, entretenant soigneusement sa maison entre deux passages de ses princesses et de leur famille : ses petits-enfants, soleils de ses vieux jours. Il se refusait de boire seul afin d’éviter l’écueil de l’alcoolisme et surveillait aussi sa consommation de graisse car son cœur lui avait déjà sonné l’alerte quelques années plus tôt.
Mais, en fait, si il était célibataire, ayant dévoué ses plus belles années à ses parents, … ou homosexuel contrarié, …, si son épagneul était en fait un angora nommé Choupi, … si ses filles étaient en fait des fils qui ne venaient le voir que pour se rendre compte combien de temps les séparaient de l’héritage, …, si son meilleur copain s’appelait Johnny Walker parce que ça vaut toujours mieux que de parler aux meubles… A chacun de choisir, mais, s’il vous plait, que la fin soit belle pour que mon imagination puisse continuer de galoper.

7 commentaires:

Ludo a dit…

Rien de tel que de laisser son imagination déborder.
D'après la description du lieu, j'aurai plutot eu tandance à croire qu'il s'agissait en fait d'un vieu monsieur tout seul. Peut être a t il eu un passé exaltant, mais aujourd'hui, il vit seul, retranché dans sa maison, n'osant que très peu sortir, à part pour prendre son journal juste après avoir avalé un café. Les nouvelles du monde le font se remémorer les grands moments de sa vie, ses voyages, les fêtes organisées dans sa propriété, le moment où il avait rencontré sa femme.
Ce qui pourrait être drole (le terme n'est peut etre pas le bon) c'est de le rencontrer un jour dans une boulangerie, ou une superette, un magasin peut etre, et de lui adresser la parole. Un voile s'envolera peut etre?

Violaine a dit…

... je ne connais même pas vraiment son visage... et cela s'est passé il y a plus de 5 ans!!!

Ludo a dit…

Ah ouais... 5 ans... Bah... De toute façon, j'ai bien aimé l'image que donnait ta description. Alors, j'essayais aussi de m'imaginer qui pouvait être ce bonhomme et m'imaginer à ta place, et le rencontrer en vrai.
Merci pour le truc pour créer un lien au fait !

Camilla Gallapia a dit…

Moi je pense que ce monsieur allait chercher son journal pour rejoindre Madame sur la terrasse, à l'ombre du Tamaris.
C'est leur petit rituel depuis les 45 années où ils se sont mariés. Elle lui raconte les derniers potins que lui a rapporté son amie Madeleine, et lui boit son dernier café en lisant les nouvelles du jour et fait mine de l'écouter d'une oreille.
Elle se réjouit que les enfants viennent passer quelques jours dans la maison familiale d'ici une poignée de semaine, et lui se souvient qu'il doit réparer la balançoire pour éviter que les minots ne se blessent.
Il pose alors son journal, estimant qu'il est grand temps d'entamer cette nouvelle journée, et elle le regarde s'éloigner attendrie, comme elle le fait depuis 45 ans...

Violaine a dit…

Quelle joie vous me faites tous les deux de vous laisser et de faire votre propre histoire...
.. un prochain jeu à mettre en place non?

Anonyme a dit…

Je suis d'accord avec la version de Camilla,

les habitants de cette maison sont un couple, très riche et très heureux.
Il allait chercher le journal, pour partager les nouvelles avec sa dame!



Damocamelia, tu écris bien, c'est un plaisir de te lire.

J'aimerais savoir si l'histoire est fictive... parce que vraiment, il me semble impossible qu'en autant d'années tu n'es jamais vu personne ni entrer ni sortir !!!
Ils vont bien faire des courses ?


(vracx)

Violaine a dit…

Merci Ninis.

Vrai de vrai, je suis passée devant cette maison tous les matins de travail pendant 5 ans... je n'ai aperçu ce monsieur qu'une fois.