mercredi 13 août 2008

Voisins #2

Deux adultes et deux mille-pattes, voici de quoi est composée la famille des gens du dessus.
Sans vouloir passer pour une râleuse perpétuelle et malgré le goût que j’ai pour les enfants et Charlélie Couture, ces gens là sont ce que l’on pourrait appeler communément des gens bruyants.
6h30, lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi ou dimanche. 6h30 est l’heure à laquelle commence la chevauchée fantastique de ces deux bambins. Leurs parents doivent être aux anges de les voir si pleins de vie.
De notre point de vue ce sont comme deux énormes scolopendres faisant la course à longueur de journée au dessus de nos têtes.
Pas de cris, pas de larmes. Des pas, rapides, nombreux et dans tous les sens à la fois.
En fait nous avons longtemps inventé beaucoup de légendes sur la faune fantastique habitant l’appartement du dessus.
En effet rien ne nous indiquait que les habitant n’étaient « que » 4, dont deux bipèdes de taille adulte avec la réserve que cela implique.Nous avons donc pensé un instant que la voisine pouvait être assistante-maternelle, employée par plusieurs familles, elle aurait pratiqué sa profession avec 5 ou 6 enfants entre 18 et 36 mois dont les parents travaillaient très tôt le matin. Il nous a même presque effleuré l’esprit que cela pourrait être pratique qu’elle garde nos enfants… mais rapidement il nous a fallu nous rendre à l’évidence que l’exception d’un dépannage un premier samedi suivi du premier dimanche ne pouvait tout de même pas cadrer avec la récurrence systématique des cavalcades.Les auteurs des pas ne pouvaient donc être que résidents permanents de cette humble demeure. Le mystère resta alors entier sur leur nombre.
Nos estimations variant dans une même journée entre 2 et 12, nos nerfs en bord de crise et notre pharmacien en panne de bouchons d’oreilles nous avons fini par monter en discuter et en avoir le cœur net.Ils n’étaient finalement que deux et ce résultat aurait été presque décevant si leur performance n’avait pas autant forcé l’admiration : ils n’avaient besoin de personne d’autre pour arriver à un tel niveau sonore.
Entre nous soit dit qu’ils auraient d’ailleurs plutôt eu besoin de quelqu’un pour ne pas y arriver car nous nous rendîmes compte, ce fameux soir là, qu’ils étaient en fait livrés à eux même. Du haut de leurs 3 et 5 ans respectifs, ils étaient seuls à sept heures du soir en pleine semaine.
La nature ayant horreur du vide, il est tout à fait compréhensible qu’ils aient ressenti le besoin irrépressible de faire du bruit, de combler l’absence. Et nous nous sommes ainsi résolus à vivre avec ce gentil raffut, relativisant par la singularité de leur situation leurs bruyantes prouesses, plutôt enclins à leur offrir un goûter qu’une punition.

mercredi 6 août 2008

Voisin #1

Longtemps je suis passée chaque jour devant ce grand mur et cet immense portail en métal, me demandant quel genre de personne pouvait bien vivre là-dedans.
Il est vrai qu’à notre époque on peut s’attendre à tout : un aristocrate solitaire, un couple de sœur vieilles-filles, une famille un peu snob aux enfants-bleu-marine, … ? L’épaisseur du mystère pouvait rester longtemps aussi dense que celle des frondaisons surplombant l’enceinte du domaine. Car oui, derrière de tels mur on ne peut imaginer autre chose qu’une grande demeure – peut-être défraîchie – au fond d’un grand parc ombraDe cette partie là de l’intimité des lieux je n’en saurais sans doute jamais plus.
Cependant le hasard voulu qu’un jour lumière se fit sur au moins l’un des habitants de cet endroit.Un jour que j’étais en retard sur mon horaire habituel de passage je vis le portail s’ouvrir discrètement et une silhouette en sortir.
Ma petite auto me permis de me rapprocher rapidement puis de ralentir l’allure afin de profiter au maximum de cette apparition.La silhouette appartenait à un homme, dans la soixante-dizaine, plutôt mince voire maigre.
Il sortait en fait pour prendre son journal dans la boite aux lettres.A cette heure somme toute un peu avancée dans la matinée il portait une robe de chambre. De couleur bordeaux, croisée devant et attachée par une ceinture de la même teinte. Le tout semblait être en soie ou en satin. Pouvoir faire cette distinction m’aurait permis sans doute d’en savoir plus sur son propriétaire, mais vous vous doutez bien que de mon poste d’observation mobile il m’était impossible d’obtenir plus de précision. Savoir si la robe de chambre était portée sur des vêtements ou sur un pyjama aurait également été un détail instructif, mais une fois encore il n’y avait pas de moyen évident d’obtenir cette information.
Alors voilà tout ce que j’avais à me mettre sous la dent, voilà tous les éléments devant satisfaire ma curiosité et permettre à mon imagination de faire le reste.
Si cet homme était célibataire ou marié, enrichi ou rentier, whisky ou cognac, oisif ou maniaque, chat ou chien, propriétaire ou employé, beurre ou confiture à moi d’en décider.
Ces choix m’appartenaient enfin et je n’allais pas m’en priver.
Voici donc une des options que je construisit ce jour là : cet homme était propriétaire de la maison, il en avait hérité de ces parents - dont il s’était d’ailleurs occupé jusqu’à leur mort – ensuite c’était sa femme qui avait disparu le laissant finir l’éducation de leurs deux filles. Il vivait à présent seul avec son épagneul, entretenant soigneusement sa maison entre deux passages de ses princesses et de leur famille : ses petits-enfants, soleils de ses vieux jours. Il se refusait de boire seul afin d’éviter l’écueil de l’alcoolisme et surveillait aussi sa consommation de graisse car son cœur lui avait déjà sonné l’alerte quelques années plus tôt.
Mais, en fait, si il était célibataire, ayant dévoué ses plus belles années à ses parents, … ou homosexuel contrarié, …, si son épagneul était en fait un angora nommé Choupi, … si ses filles étaient en fait des fils qui ne venaient le voir que pour se rendre compte combien de temps les séparaient de l’héritage, …, si son meilleur copain s’appelait Johnny Walker parce que ça vaut toujours mieux que de parler aux meubles… A chacun de choisir, mais, s’il vous plait, que la fin soit belle pour que mon imagination puisse continuer de galoper.