01/10/2009
Se dicter son propre scénario :
Charles se promène pour prendre des photos
Il rentre chez lui insatisfait
Il développe quand même les photos
Témoin malgré lui.
Scénario choisi car je m’étais fixé une contrainte en arrivant ce jour là : utiliser l’expression « lanterne inactinique » apprise le matin même.
Chaque année, pour fêter son anniversaire, Charles a pour habitude de s’offrir une journée de promenade.
Une journée à passer au bout d’une jetée, sur un banc dans un square, au fond d’une salle sombre de cinéma… pas de contrainte dans le lieu, la décision se prend en fonction de l’humeur du jour.
Ce 1er octobre, Charles décida d’extraire son vieil appareil photo du placard de l’entrée, et de partir en exploration de sa ville.
Il se chaussa confortablement, glissa un gilet et une bouteille d’eau dans sa gibecière.
Il vérifia une dernière fois qu’il avait bien une pellicule dans la chambre de l’appareil et de la réserve au fond du sac.
Il donna à boire au chat et claqua la porte, la bouche pleine de la fin de son petit-déjeuner.
Il choisi de faire le trajet en transport en commun afin d’avoir ce temps là déjà pour mettre son regard en éveil, ouvrir son esprit à ce qui l’entourait.
Le choix de la station d’arrêt fut impulsif… ainsi il se retrouva dans un quartier inconnu, forcé d’être attentif, loin des habitudes éventuelles des lieux communs si souvent parcourus. L’idée étant de ne pas juger, ne pas avoir d’a priori, ne pas écarter par avance un sujet, ne pas en chercher un en particulier.
Alors il photographia beaucoup évidemment ! Il en vint à s’arrêter sur le heurtoir d’une porte, une affiche décollée, un oiseau en contre-jour … et il utilisa une pellicule.
Il immortalisa un banc duquel une écharpe oubliée menaçait de s’envoler, les mains serrées d’un couple nonchalant, un tag coloré criant une vérité… et il consomma une pellicule.
Une feuille, un visage, un nom de rue… tout y passa… et toutes les pellicules aussi.
C’est à un Charles épuisé que sourit la jeune femme assise dans le bus.
Il l’avait vraiment occupée sa journée, il n’avait pas vu passer les heures… mais il n’avait pas le sentiment d’avoir ramené de trésor dans sa besace.
Lorsqu’il passa le seuil de son appartement il se sentit submergé par un puissant goût de banalité… déçu.
Après avoir erré entre le frigo et le canapé, entre le chat et la fenêtre, il se décida à tirer tout cela au clair. Il n’était pas envisageable que des sept pellicules rien ne ressorte de remarquable.
Alors il s’enferma dans la salle de bain avec la caisse de matériel et entreprit de développer sa journée. Il s’en fallait de peu mais les produits pour les différents bains étaient toujours actifs.
Au début il fit cela de façon un peu machinale, mais petit à petit il se prit au jeu. Ça lui plu d’être entouré de ces clichés comme de linge qui sèche. Alors il les observa. Il butina de l’un à l’autre. Parfois il s’arrêta, il pencha la tête, un pas en arrière….
C’est dans la troisième ou la quatrième série, à la lumière étrange de la lanterne inactinique, qu’il prit conscience de sa présence.
Dans l’ombre d’un arbre, au creux d’une porte cochère, derrière une fenêtre, … dans presque toutes les photos, un même visage. Le visage d’un homme. Le même homme.
Impossible qu’ils aient été, par le biais du hasard, à tous ces endroits en même temps.
Impossible que ce visage lui semble si familier, sans qu’il puisse le situer pourtant.
Sans conscience, sans concentration, il finit la tâche qu’il avait commencée.
Cette journée n’était finalement pas si laborieuse.
Longuement il chercha dans les différentes périodes de sa vie, dans les différents mondes auxquels il avait appartenu. Il alla jusqu’à exhumer de la cave les albums photos… famille… école… scouts… rien !
Il étudia de mémoire chaque milieu professionnel traversé.
Il rembobina plusieurs fois chaque fête, chaque enterrement.
En vain.
Ce n’est qu’au bord de l’aube,
L’esprit fatigué et prêt à se convaincre d’une hallucination persistante, qu’il mit un nom sur le visage : Arthur.
Malheureusement… cette découverte ne fut pas pour le rassurer car Arthur était bien un ami de son enfance… mais un ami imaginaire.